Benoît Heilbrunn |Philosophe & professeur de marketing à l’ESCP

Publié le25 février 2020 » 1985 Views»
Une société valorisant à ce point le bien-être a abandonné l’idée que l’on pouvait vivre heureux

Une société valorisant à ce point le bien-être a abandonné l’idée que l’on pouvait vivre heureux

Benoît Heilbrunn s’interroge sur l’impératif au bien-être personnel qui, selon lui, tend aujourd’hui à occulter la quête du bonheur comme projet de société. Il présentera son dernier livre « L’obsession du bien-être » (Robert Laffont, 2019) à la médiathèque le 13 mars à 20h30.

Votre livre qualifie la recherche actuelle du bien-être « d’obsession », pourquoi ?

J’essaie de montrer que le bien-être, devenu enjeu politique au 18e siècle, peut aujourd’hui être considéré comme une idéologie dominante s’appuyant sur l’égoïsme. L’obsession du bien-être signifie que sa recherche fait du confort la finalité de l’existence. Ce qui, à l’époque, n’était qu’un moyen de penser les conditions matérielles d’existence est devenu une fin en soi. Une société valorisant à ce point le bien-être signifie qu’elle a abandonné l’idée que l’on pouvait vivre heureux. Le bien-être est centré sur l’individu alors que le bonheur est lié à un projet politique qui nous porte vers les autres. L’idéologie du bien-être vise à abolir l’altérité et privilégie un repli sur soi annonçant la crise du politique.

En quoi la quête du bien-être s’inscrit-elle dans le système économique actuel ?

Le marché du bien-être représente d’abord une manne économique. Mais c’est aussi une idéologie irrigant le capitalisme. L’économie du bonheur consiste à rappeler aux individus qu’ils ne sont pas satisfaits et que leur malheur ne dépend finalement que d’eux car le bonheur serait en chacun de nous et dépendrait de nos capacités personnelles. La société de consommation se repaît de l’insatisfaction de chacun, ce qui lui permet de créer de juteux marchés basés sur le malheur. Elle est une gigantesque machine à fabriquer de l’insatisfaction en nous anesthésiant avec l’idéologie molle et consensuelle du bien-être.

Quelle serait la voie du bonheur ?

Quoiqu’en disent les charlatans du développement personnel, il n’existe pas de recette pour être heureux. Santé, amour, travail, revenu décent sont des conditions nécessaires mais non suffisantes. Le bonheur est un combat de tous les jours. Il s’adosse à une éthique consistant à accepter l’idée que la vie est une aventure qui nous expose à autrui et nous enjoint à nous battre pour ce qui nous semble important et contre ce qui nous semble inacceptable. C’est pourquoi le bonheur est un projet politique alors que le bien-être n’est qu’un état hédonique.

  • Rencontre à la médiathèque le 13 mars à 20h30
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