Le cinéma oublié et son train fantôme

Publié le12 juin 2018 » 4185 Views»

La chronique du passé par l’Agence de Tourisme Temporel Vernonnaise

Octobre 1938, Jean Gabin vient tourner à Vernon quelques plans  du film  « la Bête Humaine »  de Jean Renoir.

Octobre 1938, Jean Gabin vient tourner à Vernon quelques plans du film « la Bête Humaine » de Jean Renoir.

En cheminot, il conduit une locomotive qui longe la rue de Verdun puis celle de Montigny à vive allure. Quelques secondes plus tôt, il est passé sous une première passerelle à Gamilly sans songer un instant qu’un jour le film sera projeté à cet endroit exact, dans une salle de cinéma aujourd’hui disparue : le Rex.

Deux ans après le tournage, la ville de Vernon est sous les bombes allemandes. L’une des trois salles de cinéma local, l’Alhambra, n’y survivra pas. Le cinéma-théâtre de Vernon poursuit alors son activité, tout comme le Ciné Famille, rue Rabelin, le long de la voie ferrée, juste en face de l’arrivée de la petite passerelle de Gamilly. Cette salle de 350 places avait été réalisée avec les deniers de la Paroisse de Vernon dans les années 30, d’où sa façade d’église (voir la photo ci-dessus). Elle cesse d’être un petit ciné-club à la programmation sage et morale en changeant de nom dans les années 60 pour s’appeler le Rex. Début 70, elle prend celui pseudo-futuriste de Lem 27 après le triomphe interplanétaire du module lunaire éponyme.

La caractéristique d’une projection dans ce cinéma était la brusque apparition de sourdes vibrations en provenance de la voie ferrée. Ainsi, au beau milieu d’un film, ces grondements dans les pieds et au creux des sièges sortaient quelques instants le spectateur de l’histoire, comme un rappel à ne pas oublier que sur l’écran il s’agissait de cinéma et non de la réalité. Fort heureusement, tel un rêveur tiré de son sommeil quelques secondes par une sirène de camion pompier hurlant dans la nuit, il replongeait rapidement dans le feu de l’action du film.

Le Lem 27 a depuis longtemps baissé le rideau sur son écran, mais on ne peut s’empêcher de songer à cette vibration ferroviaire, en se plaisant à imaginer qu’elle provenait de la locomotive la plus célèbre du cinéma français, celle qui roula à tombeau ouvert dans le Vernon encore paisible de l’automne 38.

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