Par Alexandre Révérend
Serait-ce l’influence du passage du Tour de France dans notre ville ?
Toujours est-il que cette nuit, en rêve, je me suis transporté dans le Vernon du 28 juin 1905.
Ce jour-là, entre les bords de Seine et le nouveau théâtre de la place de Paris, le vélodrome flambant neuf inaugurait ses nouveaux virages inclinés. Derrière moi, un passionné à casquette a précisé à un autre que la nouvelle piste circulaire en ciment mesurait cent quatre-vingt mètres de long sur six mètres vingt-cinq de large. Tandis que la foule massée sous les deux tribunes couvertes scrutait avec anxiété le dernier tour qui allait désigner le vainqueur de l’épreuve, un coureur inconnu, surgi d’on ne sait où, et juché sur un drôle de vélo à haute et petite roue, a déboulé soudain sur la piste. Avec une belle énergie, il a coiffé au poteau ses concurrents dans une accélération irréelle avant de disparaître aussi mystérieusement qu’il était apparu. Les chroniqueurs sportifs présents et M. Leblond, responsable de la Société Vélocipédique Vernonnaise, se sont longuement interrogés sur le phénomène avant de conclure à une inexplicable farce.
Persuadé qu’il n’en était rien, je me suis aussitôt plongé dans les archives municipales.
A ce même emplacement, et depuis le Moyen-Âge, s’étalait le cimetière de Vernon. Une vingtaine d’années avant cette course, toutes les tombes avaient été transférées vers le nouveau cimetière de l’avenue des Capucins, toutes sauf une : celle d’un certain André Michaux. C’est du moins ce que j’ai réalisé en consultant le registre des fossoyeurs. Puis en épluchant la rubrique des faits divers du Journal de Vernon, j’ai découvert que le jeune André n’était autre que le neveu de Pierre Michaux, inventeur d’un tout nouveau modèle de vélocipède à pédales. C’est en circulant à bord d’un prototype de l’engin fourni par son oncle que le jeune vernonnais de 19 ans avait percuté de plein fouet une charrette au sortir de l’entrepôt Cherville, tailleur de pierres funéraires sur la place Chantereine. L’infortuné était mort sur le coup. Sans autre famille que cet oncle rongé de remords, il avait été enterré modestement dans le vieux cimetière, puis oublié. Ce tour de piste fantôme de juin 1905 était donc le fait du jeune Michaux. Du moins en avais-je la certitude jusqu’à ce que mon réveil déchire violemment le silence de ma chambre, faisant disparaître toutes les preuves que je venais patiemment de réunir…