La chronique du passé : les ailes de l’apothicaire

Publié le30 janvier 2019 » 1786 Views»

ailes

Avant-guerre, au début de la rue d’Albufera, côté pont, trônait la pharmacie de Gaston Aubert.

Sur les étagères en bois verni de l’échoppe, on pouvait admirer des jarres et pots anciens. Penché derrière des mortiers au fond de son officine, le pharmacien préparait onguents et potions. Souvent, les promeneurs de retour de la forêt passaient lui demander conseil sur le caractère comestible des champignons ramassés.

Il donnait la pièce aux gamins pour qu’ils lui apportent des vipères capturées sur les collines de Vernonnet, puis prudemment glissées dans des bouteilles de cidre vides. Une fois leur venin prélevé, les reptiles étaient relâchés.

Entomologiste passionné, M. Aubert collectionnait les papillons qu’il se faisait envoyer de toutes les régions du monde. Des missionnaires basés en Afrique lui en échangeaient contre des médicaments, et chaque soldat vernonnais en partance pour un pays lointain se voyait remettre par Gaston un filet et des colis de réexpédition. Pas moins de trois pièces entières de sa maison recelaient, du sol au plafond, des empilements de boîtes contenant des spécimens de toute beauté. A la disparition de M. Aubert, sa veuve en fit don au Muséum d’histoire naturelle de la capitale.

On raconte qu’à l’instant de sa mort, des myriades de papillons aux larges ailes multicolores entrèrent par la fenêtre ouverte et emportèrent le corps de Gaston pour le momifier au sein d’une chrysalide géante. Sa passion des lépidoptères avait fini par faire de lui l’un des leurs. Le peintre impressionniste Pierre Adolphe Valette, ami de Monet, ne l’avait-il pas deviné en le représentant sous cette forme hybride quelques décennies plus tôt ?

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